Bureau des Souvenirs

Jeudi, au détour d'une journée pluvieuse, mes pas me conduisent au mamco. Je me promène parmi les étages avec plaisir, entre pour la millième fois dans l'open house aux portes grinçantes de Gordon Matta-Clark, n'entre pas dans la fameuse petite pièce toute noire (oui je suis un peu claustro sur les bords), cherche le bon angle dans les escaliers pour reconstituer l'oeuvre de Félice Varini, traverse avec curiosité l'exposition de Franz Erhard Walther (de l'origine de la sculpture).

Et au troisième étage je tombe sur le bureau des souvenirs.
De vieux portraits défilent dans des cadres numériques, contemplés par des visiteurs à écouteurs assis sur des sofas. La gardienne m'explique qu'ils écoutent les souvenirs des gens et me donne un i-pod (enfin me prête, faut pas déconner non plus). Je m'installe devant le cadre correspondant au récit choisi sur le petit engin et je me laisse bercer par la voix d'inconnus parlant de leurs grand-parents.
...
Au moment de partir, la gardienne m' informe que l'artiste se trouve juste à côté, dans son bureau des souvenirs. Au début je voulais juste le féliciter (et peut-être aussi lui demander un interview, j'avoue) et puis, attendrie par les souvenirs des autres, j'ai voulu parler de mes grands-parents.
Nous avons donc pris rendez-vous le lendemain.

Une fois arrivée, Mats Staub m'installe dans le fauteuil de sa grand-mère. J'accroche à mon pull le petit micro qu'il me tend et nous commençons à parler. Honnêtement j'appréhendais un peu. Peur d'oublier des choses, de ne pas bien restituer les histoires, de dire n'importe quoi. Mais comme il me l'a expliqué après, quand on parle des souvenirs que l'on a de nos grands-parents, une ambiance particulière s'installe et le malaise s'envole.
Puis nous échangeons les rôles : c'est moi qui pose les questions et lui qui raconte.

Il a d'abord fait des études de théâtre, de journalisme et d'histoire des religions à Berne, Fribourg et Berlin. Puis, alors qu'il travaillait dans un théâtre à Zurich, il a entendu parler d'une université qui faisait une recherche linguistique sur plus de 5000 lettres d'amour d'auteurs de tout âges. Lui même en a sélectionné une cinquantaine, à changé les noms et a enregistré sur cassettes des lectures de ces lettres.

- Pourquoi des cassettes ?
- Parceque c'est comme les lettres, ça meurt un jour.

Puis il a continué son travail en Russie et en Autriche où il a récolté 3500 lettres. La majorité des lettres ont été écrites par des hommes, simplement parce que les femmes sont plus enclines à partager ce genre de choses. D'ailleurs, pour son travail "Mes grands-parents-Bureau des souvenirs", plus de 70% des témoignages sont féminins (messieurs ?!).

Ce travail est parti d'une recherche personnelle. Depuis petit, Mats entendait toujours parler de trois légendes au sujet de ses grands-parents. En 2005, il décide d'en savoir plus et commence à interroger ses proches. Puis ses amis à propos de leurs aïeuls respectifs. Il est alors touché par l'atmosphère spéciale de ces discussions.
En 2008, il participe au festival "générations", à Berne. Son projet en est encore à l'état d'embryon. Une caméra, une chaise et des gens qui racontent.

- J'aimais voir le contraste d'un jeune visage qui parle d'un vieux visage.

D'où les cadre numériques et les i-pods pour raconter des histoires d'un autre temps.